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Face à la bête.

Cette photo, j’en ai rêvé pendant très longtemps !

Avant de plonger, le sous-marin nucléaire lanceur d’engins le « Triomphant » fait face à la mer d’Iroise…

J-3 : « Ewan, nous avons un départ pour une patrouille dans très peu de temps, ça vous intéresse ? » Le temps de regarder les prévisions météo, je me rends compte que ça peut être magique.

En théorie, ça donne :

=> 20 à 22 nœuds de vent : c’est déjà pas mal, de quoi animer le plan d’eau, mais pas trop non plus pour ma petite embarcation !

=> Alternance de nuages à grain et parfois du soleil, si j’ai de la chance, j’aurai l’éclaircie au bon moment sur un fond tout noir !

=> Hauteur des vagues : 2m7, ça passe encore !

=> 15 secondes de houle : ça veut dire que les masses d’eau permettront peut-être de sortir l’énorme volume du bateau de ses lignes…

« Vous pouvez compter sur moi, commandant ! »

J-1 : Mes affaires sont prêtes, mon petit bateau est checké, le plein est fait, nous irons peut-être assez loin dans la mer d’Iroise… Un coup d’œil sur la météo, tout se confirme, sauf le vent Aïe, ça se renforce dans les 25 nœuds. On verra bien…

Jour J : Je n’ai pas beaucoup dormi. J’ai la sensation que les conditions vont m’offrir l’opportunité de faire de belles images de mer. Le bateau noir sort de l’île longue entouré de remorqueurs. Le temps qu’il se prépare à franchir le goulet, la tension monte, le vent aussi ! Je commence à réaliser que dehors, au-delà du phare du Minou, ça va être sport !

Je décide de prendre de l’avance…

Les conditions météo se dégradent et la visibilité baisse fortement sous les grains… Côté chiffres, c’est plutôt 35 nœuds de vent et plus de trois mètres cinquante de creux ! Le temps est bouché, mais une éclaircie s’annonce à l’ouest.

Côté photo, avec le 800mm à main-levée, ça s’annonce compliqué ! Ça « branle sec » à bord de Sweetie 7 lancé entre 15 et 20 nœuds dans les vagues…

Je décide d’attendre que la fin du grain arrive et j’imagine que dès que le soleil percera, les conditions seront réunies pour déclencher. Conserver mon avance sur le SNLE de 14 000 tonnes lancé à plus de dix noeuds se relève très chaotique. Mais l’excitation du cliché unique est plus forte.

Ça y est, nous y sommes.

Je fais face à la bête. Elle sort de ses lignes en amorçant des plongées suivies de remontées au gré des trains de houle. Je n’ai jamais vu cela comme ça. Dans le viseur du boîtier photo, c’est juste incroyable. Du coup je tremble et je rate la première série. Il faut remonter et gagner encore du terrain pour être à bonne distance; celle de la sécurité et celle à portée de téléobjectif…

20 minutes plus tard, nous y voila à nouveau.

Cette fois-ci, le sous-marin tape de plus en plus fort, il est parfois bien submergé. Le peu de marin resté à l’extérieur savoure sans doute les embruns et le spectacle, à l’abri des capuches de leurs vestes de quart. Elles resteront bientôt au sec pendant 70 jours !

« Triomphant », à nous !

Je prends une grande inspiration, j’oublie le ballottement permanent auquel je suis exposé, et je shoote. La lumière est bien présente, la pointe bretonne est sous le grain noir, le bateau est fier, la photo est là !

Par sécurité, je ré-édite une nouvelle séquence, avec son lot de vagues à franchir, de longues minutes à taper. Dès que je me retourne, c’est toujours la même scène un peu folle. Je commence à comprendre que je tiens une belle image.

Finalement, je décide de saluer l’équipage et de faire route sur Brest qui est déjà à environ 25 milles. Les sous-mariniers auront encore environ 8h de mer dans ces conditions avant de plonger et de se « diluer dans la mer jolie »…

Plus tard, le commandant du bateau me confirmera que, côté sous-marin, c’était bien rock’n’roll ! Il avait donné l’ordre de faire descendre le maximum de monde à l’abri par sécurité.

Je me demande si cette série ne sera pas tout simplement la plus chouette qu’il m’ait été donné de faire en mer sur les sous-marins.

Ça tombe bien, cela fait deux ans que je travaille dur, l’année prochaine sera celle de la refonte de mon livre S.U.B !