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Plus de quatre-vingts pour cent des marchandises que nous consommons traversent les océans, portées par des navires venus du monde entier issus de nombreuses nationalités. Derrière ce chiffre, derrière les conteneurs empilés et les ports démesurés, il y a des visages.

Celui-ci est celui d’un marin Philippin photographié il y a peu au travers d’un chaumard, le regard fixé vers la rivière Mersey à Liverpool. Il passe une touline, simple geste de marin, et pourtant, dans cette image, tout un monde se concentre. Au-delà du dialogue muet bien rodé avec l’équipage du remorqueur, les échanges de regards en disent long. D’un côté de l’aussière, on se dit qu’on est bien loti, que le foyer chaleureux retrouvé le soir même aura une saveur particulière. De l’autre, on s’interpelle inconsciemment devant la ruche opulente des pays occidentaux…

Le marin Philippin part parfois jusqu’à quatorze mois, loin des siens. Son pays l’y pousse, l’y organise : le gouvernement Philippin a fait de la mer un commerce national. Une part de son salaire revient à l’État, l’autre nourrit sa famille. Ainsi, pendant qu’il manœuvre cette aussière, quelque part à des milliers de milles, des enfants grandissent sans lui. En quelques années de photographie, j’ai souvent croisé des marins Philippins. Le sourire est culturel chez eux. C’est la première fois que je croise un visage aussi fermé. C’est sans doute que ma présence n’a pas été détectée…

Une courte distance entre remorqueur et remorqué, certes, mais un univers entre deux mondes maritimes. Le noir et blanc renforce cette distance : il abolit la couleur des pavillons, des compagnies, pour ne garder que la texture de l’acier, de la corde, du sel et de la peau. Ce regard semble nous interroger de bien des manières.

La marine marchande Française, plus discrète, tente de tracer un autre sillage. Elle défend une voie plus juste, plus humaine : respect du marin, formation, sécurité, dignité. C’est une flotte plus modeste, mais animée par des valeurs fortes, une exception dans un système mondialisé qui, trop souvent, use les hommes comme il use les coques.

Derrière ce cercle de métal rouillé, l’homme est à la fois prisonnier et témoin. Dans son œil, à peine visible, passe tout le poids du commerce et de la mer.